La ville qui porte si bien son nom – « jolie vue », « beau tableau », on en débat encore sur les terrasses balayées par l’Atlantique. La ville cache autant qu’elle montre. Elle se donne sans jamais se livrer tout à fait.
Ce jour-là, un de ces jours simples et précieux que le destin accorde parfois au photographe patient, je m’étais glissé dans le pas léger de deux femmes. Elles marchaient d’un pas tranquille, comme on va nulle part après avoir tout fait.
Il était clair que leur journée familiale s’était refermée derrière elles, laissant place à ce temps vague où l’on revient à soi sans y penser. Je les suivais à distance, sans intention précise, sinon celle – toujours floue mais tenace – de capter leurs silhouettes. Elles ne me voyaient pas, ou ne me remarquaient pas, et c’était parfait ainsi.
La lumière de janvier, dans cette ville, a quelque chose de rare : elle découpe les formes sans les trahir, elle épouse les murs et les visages avec une tendresse discrète. Ni crue, ni molle, elle révèle. Elle les enveloppait comme un tissu de lin clair, rendant chaque geste plus pur, chaque pause plus éloquente.
Tout à leur conversation – des bribes de mots glissaient jusqu’à moi, doux comme des secrets ordinaires – elles m’ont mené, sans le savoir, vers la grande place. Là, elles se sont arrêtées, presque d’un même mouvement, devant un fond de théâtre qui semblait posé là pour elles seules.
Un mur d’enceinte, repeint à fresque d’un pourpre profond, comme une tenture de palais disparu. C’était une teinte étrange, royale, chargée d’histoire. Le genre de couleur qu’on devine plus qu’on ne la voit. C’était le pourpre des empereurs, celui arraché aux coquillages par des mains d’esclaves, ce sang séché de la mer que Rome réservait à ses dieux vivants.
Et voilà que ce rideau immobile devenait, pour un instant, décor d’un autre temps. Les deux femmes, assises sans apprêt devant lui, prenaient malgré elles une grandeur insoupçonnée. Leur simple présence devenait scène.
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