Beni Mellal.
C’était le temps fort, le sommet brûlant de la fête des moissons chez les Zaïan. Les tambours avaient commencé dès l’aube, comme un battement de cœur..Dans la lumière naissante, les silhouettes se rassemblaient autour du terrain sacré.
Forcément, on pense à Delacroix, pour l’intensité du mouvement, la rudesse des visages, la densité des couleurs, et cette façon qu’ils avaient d’habiter l’espace avec une présence presque antique.
J’étais juché sur le toit d’un vieux camion bâché, appareil en main, la paupière crispée contre le viseur.
Et soudain, comme une nuée surgie de l’invisible, ils ont déboulé. Les cavaliers. Drapés de blanc, armés de longs fusils étincelants, les turbans battant comme des flammes.
Ils fonçaient droit sur moi, contre le vent, contre le monde, déchirant l’air d’un grondement sourd. Leurs montures, nerveuses et gonflées d’écume, martelaient le sol avec violence.
Une poussière âcre s’élevait, tournoyante, m’aveuglait, me brûlait la gorge. J’étais contraint de pivoter à demi, de soulever mon bras pour protéger l’objectif. Une demi-seconde, peut-être moins, pour saisir leur passage dans cette tempête ocre.
Le sable les avalait, les révélait, les effaçait aussitôt. Ils devenaient silhouettes de légende, ombres de guerriers surgis d’un autre âge.
Autour, la foule — trois mille personnes au moins — hurlait, chantait, battait des mains, mais je ne l’entendais plus. Elle avait disparu. La poussière l’avait dissoute. Il ne restait que cette charge furieuse, cette cavalcade envoûtée. Les centaures, dans leur fulgurance, avaient chassé toute autre présence.
Ils étaient seuls dans mon rêve. Et peut-être dans le leur.
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